Yann Tiersen ou le go

MUSIQUE Il vient de commencer sa tournée alors que sort l'album «Les Retrouvailles» Yann Tiersen ou le goût des limites Bertrand Dicale [31 mai 2005] «Je ne suis pas technicien virtuose, affirme Yann Tiersen, mais j'aime bien les limites parce que ça permet de faire des choses différentes.» (Photo AFP) Il y a quatre ans, c'était L'Absente. Maintenant, ce sont Les Retrouvailles. Un aveu, de l'autobiographie, un symbole ? Yann Tiersen rassure : cela ne veut rien dire d'accoler les titres du disque qui vient de sortir à celui de son précédent album en studio, paru en 2001. «Quand je faisais L'Absente, je savais déjà que le prochain album s'appellerait Les Retrouvailles. J'ai souvent le titre avant de commencer à travailler, ça me motive. Mais je ne pense pas au titre quand je prépare l'album.» Après les succès de ses bandes originales pour Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain et Good-bye Lenin, le climat de ces Retrouvailles n'est pas très éloigné de celui de L'Absente, entre méditation diurne et inquiétude perlée. Des pièces instrumentales et quelques chansons avec, comme c'est l'habitude chez lui, des invités dont la seule liste dessine une culture musicale, des intentions, un univers : Jane Birkin, Elizabeth Fraser des Cocteau Twins («pour moi, c'est la chanteuse la plus inventive au monde»), Stuart Staples des Tindersticks («j'ai aussi fait un piano sur son album solo, qui va bientôt sortir»), et puis Dominique A et Christophe Miossec pour un trio écrit et chanté avec Yann Tiersen, Le Jour de l'ouverture. «J'avais fait la musique, et j'ai écrit un texte. Dominique, de son côté avait fait un texte dont on a pris deux phrases. On a tout retravaillé à trois, le matin, au bistrot. C'est la première fois que nous travaillons tous les trois ensemble et on peut bien retrouver ce qui vient de chacun : j'avais écrit «le jour de l'ouverture», Christophe a rajouté «de notre grande surface». Il a une écriture assez concrète, assez ancrée dans la réalité, elle est plutôt abstraite chez moi et Dominique est un peu entre nous deux.» Leur trio sonne comme la rencontre de trois des univers les plus singuliers et influents de l'époque : le lyrisme à brides tenues de Dominique A, l'âpreté contemporaine de Mios sec, la mi-saison éternelle de Tiersen... A propos de saison, Birkin interprète une chanson singulièrement politique, Plus d'hiver, reflet d'un temps de cataclysmes soft et d'économie reine : «Alors voilà, il n'y aura plus d'hiver/Et pourquoi ? c'est plus rentable, on pense/Dans les villes (...) Des vagabonds se pressent/Et investissent, toujours/Dans la laine dévaluée.» Rien de très explicite, d'ouvertement militant, mais le malaise devant un temps cruel et tiède à la fois, devant le mélange de confort et de méchanceté de notre société. Mais c'est de peu de mots que s'exprime surtout Yann Tiersen - au disque comme à la ville. L'essentiel roule dans des pièces tantôt étales, tantôt généreusement tumultueuses, qu'il enregistre presque seul, jouant de presque tout - violon, guitares, clavecin, scies musicales, vibraphone, violoncelle, mélodica, accordéon, marimba... «Je me sers de ce dont j'ai sous la main», dit-il. De nouveaux instruments dans ce disque ? Une flûte double qu'on lui a donnée après un concert dans les Balkans, et qu'il appelle «canard roumain» - c'est le fluier gemanat, préciseront les érudits. Et puis la guitare portugaise au son grêle, et puis la batterie. «Jamais je n'aurais imaginé que je pourrais faire presque toutes les batteries de mon album. Je suis très mauvais mais ça ne s'entend pas : j'aime bien les limites parce que ça permet de faire des choses différentes. Par exemple, je n'arrive pas à faire sonner convenablement une caisse claire : pas grave, je mets un banjo à la place ; je n'arrive pas à jouer de la grosse caisse alors j'ai enregistré la partie de batterie puis la partie de grosse caisse - ça sonne un peu différemment.» Yann Tiersen sait combien fonctionnent les notes un peu tremblées, les accords fragiles, l'humilité du vibrato, au point que la technique ne l'arrête jamais : «Je ne suis pas technicien virtuose et ça ne me gêne pas du tout de jouer d'un instrument dont je ne sais faire que deux notes.» Pour Les Retrouvailles, il est retourné dans l'île d'Ouessant, où il avait enregistré Le Phare, qui l'avait révélé en 1997 - «j'ai reloué la même maison pour commencer l'album». On voudrait bien établir des parallèles, débusquer des métaphores sous l'isolement îlien d'un musicien volontiers autarcique. Il récuse : «A Paris, je ne sors jamais, alors qu'à Ouessant, où les gens sont gais et accueillants, j'ai une vie beaucoup moins solitaire.» Il a commencé les concerts le week-end dernier, dans une formule à la fois plus resserrée (autour de lui, guitare, basse, batterie, ondes Martenot) : «J'avais envie d'une formule un peu plus rock, où tout le monde ne change pas d'instrument tout le temps.» Il reste un peu gêné par les salles où le public écoute sagement assis - «ma culture est plutôt rock, avec des salles debout». Ce sera à l'été 2006 qu'il sera dans nos grands festivals rock : dans l'immédiat, après une première tournée en France, ce sera le Japon, l'Espagne, l'Irlande, la Belgique. Et la tournée durera jusqu'à l'automne 2006. Retrouvailles, donc. Jusqu'au 3 juin à Brest, le 5 à Saint-Brieuc, le 14 à Clermont-Ferrand, le 15 à Lyon, le 22 à Lille, le 23 à Paris (La Cigale), les 9 et 10 juillet à Rennes...