[22/04/2006] RSR Trois indits d’Arthur Honegger par l’OSR, c’est toujours bienvenu ! par Michel Tibbaut pour la rubrique CD [CD] Compositeur de ResMusica.com
Arthur Honegger (1892-1955) : Le Cantique des Cantiques ; Jour de Fête suisse ; Radio-Panoramique. Brigitte Balleys, mezzo-soprano ; Christophe Einhorn, ténor ; Marcos Fink, baryton-basse ; Jacques Tchamkerten, ondes Martenot. Chœur Pro Arte de Lausanne, (chef de chœur : Pascal Mayer), Orchestre de la Suisse Romande, direction : Guillaume Tourniaire. 1 CD RSR. Réf. : RSR 6187. DDD. Enregistré au Victoria Hall de Genève du 27 au 30 août 2005. Notices bilingues (français-allemand) excellentes puisque dues à Harry Halbreich avec textes des parties chantées. Durée : 69'52''.
Pour la plus grande joie des mélomanes, il reste encore bien des partitions à découvrir chez Honegger, notamment parmi ses dix-neuf ballets et ses neuf pages radiophoniques, aussi ce CD RSR de la Radio Suisse Romande vient à son heure, nous révélant en premiers enregistrements mondiaux deux ballets et une œuvre radio.
La pièce de résistance est évidemment le Cantique des Cantiques de 1937, œuvre de près de trois quarts d'heure, dont Marcel Doisy déplorait déjà dans les années 60 l'absence dans la discographie honeggérienne : créé le 2 février 1938 à l'Opéra de Paris, le Cantique des Cantiques fut la deuxième collaboration du compositeur (la première étant Icare, 1935) avec Serge Lifar qui dansa également le Berger auprès de Carina Ari (la Sulamite) et de Paul Goube (Salomon) ; Serge Lifar laissa le compositeur entièrement libre, hormis quelques indications rythmiques et le souhait d'une nombreuse percussion. Il est étonnant que cette œuvre fraîche et spontanée ne soit pas plus souvent exécutée, d'autant que les parties chorales ne sont pas d'une grande difficulté. Peut-être cela est-il du à la forme même de l'ouvrage qui oscille entre le ballet et l'oratorio, très proche, avec ses dix-sept brèves parties, de la structure par « numéros » du Roi David dont l'œuvre n'a jamais atteint la popularité ; ou peut-être tout simplement la rareté de certains instruments - ou la difficulté de se les procurer - constitue la seule réticence : l'orchestre adopte une formation assez particulière : les cors sont remplacés par des saxophones, les nombreuses percussions comprennent des cymbales en fer et un bouteillophone, tandis que notre cher Arthur n'hésite pas à utiliser piano, célesta et ondes Martenot dont il fut friand dès la première heure. L'argument, lui, est très simple : une Sulamite amoureuse d'un Berger est enlevée par le Roi Salomon qui la comble de danses et spectacles fastueux, mais toute cette richesse ne peuvent empêcher la jeune fille de songer au Berger à qui elle est finalement rendue, et la nature tout entière s'unira à leur bonheur.
Aux côtés du Cantique des Cantiques, Jour de Fête suisse et Radio-Panoramique font l'effet de hors-d'œuvre, et l'éditeur les a d'ailleurs judicieusement placés en première partie du CD. Ce qui signifie nullement que ces amuse-bouche soient de piètre qualité musicale, loin de là : nous nous trouvons seulement devant une matière sonore s'apparentant à ce que Honegger faisait de mieux en musique de film notamment, et Jour de Fête suisse n'est pas sans évoquer la Fête au Village de Regain, ou la Foire de Montfermeil des Misérables ; Honegger y a même utilisé des extraits de sa musique pour le film Rapt (1934). En fait Jour de Fête suisse est une suite de concert tirée du ballet l'Appel de la Montagne créé à l'Opéra de Paris en 1945, ballet qui n'eut qu'un succès mitigé dans une France libérée, principalement en raison d'une chorégraphie médiocre et d'un argument relativement « kitsch » consistant en une évocation pourtant savoureuse et ironique de l'Oberland bernois pris d'assaut par les touristes étrangers au début du XIXe siècle. Les huit mouvements de la suite consistent en la musique de fête des vachers, suivie de la scène finale, dénommée Alpeglüe, évocation merveilleuse par son tissu polyphonique raffiné d'un féerique coucher de soleil illuminant les sommets enneigés : une petite flûte espiègle et scintillante entonne une mélodie populaire suisse qui, dans les années 50, sera curieusement rebaptisée Luxembourg Polka (vive l'Union Européenne !) sous la houlette du chanteur « de charme » André Claveau (ah ! souvenirs...) qui en fera un « tube » tout autrement célèbre que la suite d'Arthur Honegger !... Quant au bref Radio-Panoramique, il est le résultat d'une commande de Radio-Genève au compositeur pour fêter en 1935 le dixième anniversaire de la station. Plus encore que dans Jour de Fête suisse, Honegger fait montre d'une ironie joyeuse en proposant un montage-catalogue de diverses musiques (et anti-musiques, comme le souligne Harry Halbreich !) en une sorte de zapping avant la lettre vis-à-vis d'un média encore soumis à l'époque aux aléas techniques d'une transmission précaire...
Tout ce programme offert par le label suisse RSR a l'avantage de nous révéler le côté spontané, frais et joyeux d'un compositeur dont la réputation d'austérité renforcée par les dernières et pénibles années de sa vie n'est qu'une des multiples facettes de sa personnalité attachante. Il convient de mettre en évidence l'excellence des interprétations qui nous sont proposées : solistes, chœur et orchestre sont parfaits dans leur engagement à défendre ces musiques, et les interventions de Jacques Tchamkerten aux ondes Martenot, dans le Cantique des Cantiques, sont particulièrement poétiques et véritablement intégrées à l'orchestre, ce qui n'étonne guère de la part d'un interprète déjà habitué au style honeggérien, par ses participations à la série de musiques de film dirigées par Adriano (Naxos). Signalons enfin que Jacques Tchamkerten est l'auteur d'un superbe livre consacré à Arthur Honegger.
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