Les ondistes du Canada par Damien Charron - Partie 1 : Jean Laurendeau

La FEAM a des amis partout dans le monde, en particulier au Canada avec la classe d’ondes Martenot du conservatoire de Montréal. A ma demande, Damien Charron,* profitant d’un séjour outre atlantique en septembre 21, a mené des entretiens avec les principales personnes du milieu des ondes, avec comme objectif de faire le point sur la situation de l’instrument et de son répertoire au Canada.  

Nous sommes heureux de vous présenter les acteurs de cet univers sur le site de la Fédération Martenot, les différents articles sont publiés en épisodes.  

Bonne lecture. 

Ariane Martenot

*Adhérent de la FEAM, Damien Charron s’intéresse aux Ondes Martenot comme compositeur, dont l’écriture s’appuie sur les recherches de timbre, le geste musical, l’énergie du son et les modes de jeux instrumentaux. Il a composé un trio pour Ondes Martenot (http://www.damiencharron.com/). Les enjeux pédagogiques lui tiennent aussi à cœur, ayant dirigé pendant 35 ans des conservatoires de musique.

ENTRETIEN AVEC JEAN LAURENDEAU
A MONTREAL LE 15 SEPTEMBRE 2021

Pour cet entretien, je me suis rendu chez Jean Laurendeau, dans l'arrondissement « Côte-des-neiges - Notre-Dame-de-Grâce », secteur Ouest de Montréal (Québec - Canada). Nous avons conversé sur une terrasse donnant sur un jardin, avec le chant des cigales (dont la stridulation caractéristique se rapproche d’une fréquence électrique suraiguë) et le bercement du vent dans les arbres (dont le feuillage, au loin, se teintait de rouge, en prémices à l’automne québécois).

J’ai posé d’emblée la question, cruciale à mes yeux, de l’accès à l’instrument. Pour Jean Laurendeau, il n’y a pas eu d’avancée d’ordre technologique ou économique depuis la parution en 2017 de la nouvelle version de son ouvrage Maurice Martenot, luthier de l’électronique, Beauchesne éditions, dans lequel il consacre son chapitre ultime, intitulé « nouveaux luthiers de l’électronique », situé après les appendices, à cette question. S’il confirme les difficultés toujours persistantes, par exemple pour les réparations de l’instrument, il a bien conscience de l’importance du facteur humain, qui peut expliquer les dissensions possibles entre les personnes qui souhaitent renouveler la fabrication des Ondes. Néanmoins, l’univers des ondes, bien qu’ayant à ce jour rejoint un public relativement restreint, s’est montré capable d’une endurance qui atteindra bientôt un siècle. L’existence de plusieurs tentatives simultanées, et réussies pour reconstruire, améliorer et moderniser les Ondes l’aide à croire en l’avenir de cet instrument.

Concernant le répertoire « historique » pour ondes Martenot, Jean Laurendeau renvoie à la liste (quasi exhaustive) des oeuvres et des compositeurs, publiée dans la première édition de son ouvrage en 1990, et qui occupe les pages 254 à 298. Cependant, ayant cessé son activité d’instrumentiste en 2015, il se trouve moins en contact avec la création musicale actuelle. Il revient seulement sur deux oeuvres de compositeurs québécois, dont il a assuré la création : le Concerto pour ondes Martenot et orchestre de Jacques Hétu (en 1990) et le Cheminement de la baleine, pour clarinette, ondes Martenot et 18 instruments de Michel Gonneville (en 1998). Il est à remarquer que cette dernière oeuvre a été composée à partir d’un court poème de Jean Laurendeau lui-même en forme de haiku, et que les instruments solistes choisis correspondent précisément aux deux instruments dont il joue ; il a donc interprété alternativement l’une ou l’autre partie en concert.

A ce propos, dans un petit aparté, il m’a révélé les raisons du choix de ces instruments. Ses parents lui ont fait apprendre la clarinette sur le conseil d’un compositeur connu des grands parents qui étaient musiciens. C’est en tant que clarinettiste qu’il a décidé de consacrer sa vie à la musique. Par ailleurs, le choix des ondes résulte d’un coup de foudre postérieur à l’apprentissage de la clarinette (relaté dans son ouvrage page 205).
En abordant la question des interprètes, il évoque la jeune génération et plus particulièrement des artistes comme Aurore Dallamaggiore, qui travaille avec Estelle Lemire et dont il a apprécié la musicalité. Lors de la dernière saison de l’Ensemble Contemporain de Montréal, dans un concert intitulé « Violonde ! », elle a joué entre autres une oeuvre de jeunesse du compositeur québécois Claude Vivier, Prolifération pour ondes, piano et percussions. Les jeunes musiciens, avec Aurore Dallamaggiore et en partie grâce à elle, ont redonné pleine vie à cette oeuvre dont Laurendeau craignait qu’elle ait un peu vieilli. En raison du contexte sanitaire, ce concert s’est réalisé en webdiffusion. Aurore a reçu une bourse, (officialisée le dimanche 19 septembre 2021) de la Société pour le Développement des Ondes Musicales (SDOM), association dont il est le président et dont il souligne l’action permanente (https://societedesondesmusicales.ca/).
L’intérêt de Jean Laurendeau pour l’enseignement et la pédagogie reste entier. Il rappelle que cette réflexion est bien l’élément déclencheur de son livre. Sa fascination pour Maurice Martenot repose sur le fait que ce dernier a su développer en harmonie trois dimensions présentes en lui : l’inventeur, le pédagogue et l’instrumentiste. Les ondes Martenot représentent le résultat concret de la synthèse des trois. La dimension spirituelle de sa recherche ne fait aucun doute pour Jean Laurendeau. Les entretiens qu’il a eus avec lui en portent un témoignage vivant. A titre d’exemple, il cite le tableau de Maurice Martenot, fait en mai 68, différenciant enseignement et éducation, les carnets de Beethoven, son intérêt pour Sri Aurobindo. La figure de Maurice Martenot porte cette « humanisation de l’enseignement » qui, avec ses principes pédagogiques novateurs, a été reprise et développée par les Enseignements Artistiques Martenot.

En conclusion, Jean Laurendeau réaffirme sa confiance en l’avenir des ondes musicales de type Martenot. Il le croit suffisamment riche en possibilités musicales, techniques et expressives pour pouvoir faire la conquête des gens qui ne le connaissent pas encore.

Damien Charron