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Le Colibri ? Un opéra de chambre en un acte composé par Henri Tomasi sur un texte de Francis Didelot. Destiné à un soprano léger, un mezzo soprano, un chœur à deux voix égales et un orchestre, ce conte radiophonique fut créé le 20 juin 1961 par la Maîtrise de la Radiodiffusion française. Il nous revient le 15 octobre à 17h, sous la direction de Jakub Hrusa, en compagnie de la Maîtrise et de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Dédié à la Maîtrise de la Radiodiffusion française, le Colibri révèle toute l'admiration que portait Henri Tomasi à cette formation vocale exceptionnelle, particulièrement attachée à création et à la défense de la musique française. L'œuvre rappelle aussi combien la Maîtrise, en retour, appréciait elle aussi ce compositeur, au point de créer plusieurs de ses œuvres, parmi lesquelles la Messe de la nativité, sur de vieux noëls provençaux, à Saint-Michel de Frigolet en 1960, les Douze Noëls de Saboly en 1961, la Chèvre de Monsieur Seguin, conte lyrique donné en 1964 en compagnie de Jacqueline Maréchal et d'André Vessières, ainsi qu'une ballade sur un texte d'Alphonse Daudet, Monsieur le sous-préfet, interprétée en 1966 sous la direction de Jacques Jouineau. Mais le Colibri, c'est surtout, pour les plus jeunes comme pour les plus vieux, un merveilleux regard sur l'enfance, dont on serait tenté, de comparer le livret avec celui, si célèbre, de l'Enfant et les Sortilèges, de Colette pour Ravel. Un enfant espiègle, insolent et têtu, dont les aventures réelles ou imaginaires sont parmi les étapes nécessaires à son initiation et à son cheminement vers l'âge adulte. Malgré toutes les tentatives de la forêt et de ses habitants pour l'en empêcher, l'enfant attrape un colibri et l'enferme dans une cage. Oiseau et animaux se taisent, tandis que les fleurs se referment. Déçu, l'enfant s'endort et, dans un terrible cauchemar, se retrouve face à son prisonnier, devenu diable noir. A son réveil, il relâche le colibri, et rend vie à toute la forêt. Un opéra pour tous les sens Sonores, olfactives ou visuelles, toutes les images utiles sont là : sifflements de serpents, coassements de grenouilles, grondements des chats-tigres et, bien sûr, chants d'oiseau. Cette forêt aurait pu aussi être celle, animée par les appels du coucou, de Hänsel et de Gretel. Mais n'est pas Colette ou Adelheid Wette qui veut. L'accumulation de figures apporte ici plus de lourdeur que d'efficacité à la rhétorique littéraire : «Fleurs hallucinantes, feuilles palpitantes, lianes étouffantes, enveloppantes, ardentes, grisantes, suffocantes...» On imagine facilement ce qu'un tel texte donnerait traduit mot à mot par la musique. Henri Tomasi ne s'inquiète guère de ces détails et, sans abandonner l'ancienne pratique du figuralisme (la terrible chute de l'enfant), se souvient que le théâtre craint les longueurs. Avec le même écrivain, il a déjà conçu un opéra bouffe, Princesse Pauline, qui sera créé en 1962 par l'Orchestre Radio-lyrique de l'ORTF. Une fois encore, il parvient à tirer profit de ces mots simples et clairs, trouve un juste équilibre entre la concision indispensable à la tension dramatique et le développement nécessaire aux objets musicaux. Jamais la ligne mélodique n'insiste sur les formules répétitives du livret qui, en retour, lui offre un plus vaste espace pour s'exprimer. Jamais le chant n'a besoin de s'imposer pour lui-même, et le rôle de l'enfant privilégie la simplicité et le naturel. Les mots, finalement, s'effacent derrière les rimes et les allitérations, sans rien perdre de leur sens. Défendant un «théâtre pour le grand public», Henri Tomasi explique avoir gardé de ses origines méditerranéennes et de ses souvenirs corses et provençaux le goût pour la pleine lumière et les ombres profondes. Aux demi-teintes, il préfère «ce qui est construit, ce qui est net, ce qui est sain. On donne trop dans le morbide, à l'heure actuelle. Rien ne vaut la nature et le soleil». Une clarté que son esthétique ne remet pas en cause, se cherchant une voie personnelle à travers un paysage musical en pleine mutation, sans vraiment regarder du côté de l'avant-garde et en oubliant les références trop ressassées au leitmotiv wagnérien et à la récitation debussyste. Dans son article, publié dans la Revue musicale en 1956, «Pour un théâtre lyrique qui ne soit pas déraciné», le compositeur rappelle que le genre a ses lois, et que celles-ci ne peuvent être négligées : «Ce qui est certain, c'est qu'il faut faire chanter les chanteurs, et danser les danseurs, vérité première qu'on se voit obligé, hélas, de rappeler aujourd'hui. Laissons donc la comédie aux comédiens, les chanteurs ne sont pas faits pour déclamer, il ne faut pas l'oublier. Il est toujours dangereux de mélanger les genres dans l'opéra. Les précédents de Wagner et de Debussy sont exceptionnels et il n'est pas recommandé de les suivre dans cette voie. Les oppositions sont indispensables. Il faut donc une grande variété et des contrastes dans les scènes. Les modulations sont d'une importance capitale. Tous les langages harmoniques sont valables pourvu qu'ils soient employés à bon escient, selon la nécessité (...) Tout en n'ayant pas craint d'employer souvent les moyens d'expression les plus modernes, je suis resté un "mélodiste", car je persiste à croire que la mélodie est une des bases fondamentales de la musique. Quant au procédé du leitmotiv employé par Wagner, je n'en suis pas partisan. J'estime même que c'est une erreur. Il est, à mon sens invraisemblable et trop simpliste d'habiller toujours un personnage avec le même thème, qui devient alors un carcan. Un personnage peut avoir des sentiments divers, voire contradictoires. Les états d'âme varient et mes thèmes changent avec eux. Si je les reprends, c'est sans insistance. Il ne fait pas de doute que ce système primaire du leitmotiv a fait faillite, de même que le récitatif debussyste.» Les vocalises du volatile Bien sûr, les vocalises du volatile sont ici comme un refrain, et l'orchestre, avec ses vents, ses ondes Martenot et ses percussions, a là tout ce qu'il lui faut de situations différentes, heureuses ou tristes, effrayantes ou apaisantes, pour varier ses effets. Faut-il alors voir dans le Colibri un simple divertissement destiné au jeune public ? Si le chœur ajoute à l'onirisme de la scène, il raccourcit également les distances entre le rêve et la réalité dans la mesure où l'absence de représentation empêche de savoir si tout cela n'est pas que le seul fruit d'une imagination débordante. Préservée par la version radiophonique, cette ambiguïté rendrait même la mise en scène inutile. Mais parce que du conte se dégagent, parfois trahis par l'indiscrétion psychanalytique (celle de Bruno Bettelheim par exemple, dans sa Psychanalyse des contes de fées), des pensées et des rêves que nul enfant ne sauraient décrypter, parce que se cachent, derrière son apparente innocence, un regard sur la réalité que ne pourraient remettre en question toutes les considérations sur le soi-disant réalisme de l'histoire, il convient de se laisser transformer par la fable comme l'enfant lui-même a été transformé. «Comprendra-t-il la leçon des phantasmes ?», s'interroge Henri Tomasi. «Oui, quand l'aube se lève et qu'il s'éveille, l'enfant ouvre la porte au prisonnier ailé. Et le colibri pique vers le ciel bleu, vole, vole toujours plus haut, dans la griserie de sa voix retrouvée avec la liberté.» Bien que l'on n'aille pas à l'opéra pour y être encore cerné par sa vie quotidienne, et bien que l'on y préfère même tenter de l'oublier («Pour un théâtre lyrique»), il se dégage du Colibri une morale très simple sur les libertés volées et les atteintes de l'homme à la nature. Sujet encore d'actualité, et d'autant plus indémodable que, au contraire de l'enfant dont l'amélioration passe nécessairement par l'erreur et la faute, l'adulte tarde à s'assagir et à faire bouger les choses. François-Gildas Tual Ce concert sera diffusé le mercredi 26 octobre à 15h sur France Musique. en savoir plus sur le concert du 15 octobre à 17h voir le site de l'Association Henri Tomasi Tomasi : le Colibri Villa-Lobos : la Forêt d'Amazonie numéros précédents >>