Sur la piste des ondes Martenot | Le Devoir
Sur la piste des ondes Martenot
Un documentaire remonte en archives, en musique et en passion le chemin et la vie de cet instrument méconnu
9 mars 2013 | Odile Tremblay | Cinéma Photo : Pedro Ruiz - Le Devoir La documentariste Caroline Martel et l’ondiste Jean Laurendeau. Pour plusieurs, les ondes Martenot demeurent un instrument profondément mystérieux, issu de la préhistoire précédant l’avènement des synthétiseurs. Mais aux yeux de l’ondiste Jean Laurendeau et de la documentariste Caroline Martel, ces ondes se découvrent par coup de foudre, s’apprécient pour leur sensibilité extrême et se fréquentent à jamais. Le chant des ondes. Sur la piste de Maurice Martenot, en salle vendredi prochain, est un documentaire qui remonte en archives, en musique et en passion le chemin et la vie de cet instrument trop méconnu. Les ondes Martenot comptent pourtant des deux côtés de l’Atlantique de fervents adeptes, dont l’Ensemble d’ondes de Montréal. Jean Laurendeau, qui témoigne dans le film, avait publié en 1990 Maurice Martenot, luthier de l’électronique, une biographie de l’inventeur disparu en 1980. Au restaurant, l’autre jour, Caroline Martel est venue parler de son documentaire, aux côtés de Jean Laurendeau. « Ce projet de film là m’avait convaincu, dit-il. Caroline raconte une quête, et on sent palpiter le coeur de ceux qui interrogent le mystère de cet instrument-là. » Il ne subsiste que 70 instruments sur les 281 fabriqués du vivant de Martenot. Les ondes sont rares, surtout reconnues pour leurs vibrations fantomatiques aux accents d’outre-tombe, mais proches aussi de la voix humaine aux mille émotions. Leur mystère vient également d’ingrédients énigmatiques : un mélange de mica et de poudre de plomb au fait, composant l’intérieur d’un sac, le coeur de l’instrument. Encore faut-il savoir doser tout ça. « L’instrument n’est pas facile à reproduire. Ça demande un investissement en temps, précise Jean Laurendeau. À Montréal, un luthier, Jean Landry, peut remplacer le sac. » Tout a commencé lors du film précédent de Caroline Martel, un documentaire en montage d’archives, Le fantôme de l’opératrice, sur l’histoire des téléphonistes, sorti en 2005. Des oeuvres sur ondes Martenot composaient la trame musicale. « Ma monteuse, Annie Jean, avait entendu parler de cet instrument, qui pouvait convenir au film. » De fil en aiguille, Caroline a rencontré à Montréal Suzanne Binet-Audet, qu’on surnomme la Jimi Hendrix des ondes Martenot (dans le film on la voit parler avec Jonny Greenwood de Radiohead, qui utilise le Martenot). Elle en a joué dans Le fantôme de l’opératrice, qui connut un grand succès et s’exporta partout. « Tant de spectateurs m’ont alors posé des questions sur la trame sonore, précise la cinéaste. L’expliquer ? Non ! Je vais le révéler ! », a-t-elle décidé. Caroline a lu la biographie de l’inventeur, avant de suivre sa propre voie : « Je ne trouvais pas intéressant de raconter l’histoire des ondes Martenot ; j’ai voulu plutôt montrer leur histoire en marche. » Jean Laurendeau réplique : « Elle a commencé là où mon livre finit. » Le chant des ondes, avec plusieurs documents d’archives, de multiples entrevues et bien sûr plusieurs pièces musicales sur trame sonore de Suzanne Binet-Audet, se déplace à travers les époques. On retrouve Maurice Martenot. En pleine guerre, en 1918, il était télégraphiste, aimait les sonorités tirées des lampes triodes de l’appareil, et imagina un instrument capable de transformer ces particules électriques en ondes musicales, ne cessant de le perfectionner. De fait, ses modulations pouvaient imiter autant la voix que divers instruments et bruits. Dix ans plus tard, à l’Opéra Garnier de Paris, les ondes Martenot faisaient fureur. Darius Milhaud, Maurice Ravel, Olivier Messiaen, Jacques Brel ont écrit pour elles. Plusieurs luthiers et ondistes participent au documentaire, au premier chef Jean-Louis Martenot, fils de l’inventeur, luthier lui aussi et gardien du temple. « Un vieux luthier de la banlieue de Paris capable de fabriquer l’instrument fut interviewé et suivi durant deux ans, avant de refuser d’être dans le film, soupire Caroline Martel. Il y a une course à Paris, des compétiteurs qui tentent de refaire l’instrument et parfois réussissent. Des ondistes attendent parfois sept ans avant d’en avoir un. » Les ondes se retrouvent dans la trame sonore de plusieurs films. Abel Gance, Fritz Lang les ont utilisées. On les entend aussi dans There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. La cinéaste ajoute qu’elle a fait, en parallèle au Chant des ondes, une oeuvre de documentation archivistique. « Il n’existait pas de liste des films, des publicités et des productions télé ayant utilisé les ondes Martenot. On en compte 2000. Le film constitue aussi un travail de conservation de l’instrument à plusieurs égards. J’ai numérisé les archives de la famille Martenot. Les institutions françaises s’étaient mal occupées de cet héritage. Au cours des années 70, elles croyaient l’instrument obsolète. » Elle avoue qu’elle serait très fière si son film contribuait à mieux faire connaître l’instrument. Pour le lancement du Chant des ondes, le 15 mars à Excentris, un miniconcert s’ajoutera, chose certaine, à la projection.